Il y a quelques mois nous avions pu rencontrer Olivier Sanfilippo, auteur, illustrateur et cartographe de jeu de rôle. Un échange passionnant sur son parcours professionnel, ses travaux, ses doutes et ses inspirations mais aussi ses avis sur le jeu de rôle et l’arrivée des IA dans ce monde. La première partie est disponible depuis la semaine dernière ICI . J’espère que vous apprécierez autant que nous ce moment passé avec Olivier. Dans cette seconde partie nous allons parler de son bébé, L’Empire des Cerisiers, mais aussi des IA et de leur incursion dans le monde du jeu et de la culture en général. Nous vous souhaitons une bonne lecture !
GameOvert.net (GO) : Et puis en 2020 l’empire des cerisiers, alors plutôt 2018 la campagne de financement participative. 2022 meilleure création francophone. L’idée officielle de ce jeu date depuis quand pour toi ?
Olivier Sanfilippo (OS) : Alors l’idée de l’empire des cerisiers, le projet en lui-même. A l’époque je bossais déjà pour Mathieu (Saintout, chef chez Arkhane Asylum Publishing) sur la gamme Loup Garou l’Apocalypse, la carte de l’Umbra (petit rêve d’ado d’ailleurs, car j’ai rencontré ma femme sur une partie de loup garou qu’elle masterisait donc vraiment il y avait vraiment ce côté affectif, sentimental de cet univers-là). Donc j’arrive sur Loup Garou, Mathieu me demande si ça me dit de faire la carte de l’Umbra, et celle-ci a super réception. On parlait de projets cartographiques et en parallèle j’ai commencé à faire une petite carte inspirée du Japon mais pour m’entrainer, et après j’ai commencé à rajouter des petites villes sur cette carte et pour bosser je faisais un peu d’architecture médiévale classique à l’époque. Je me suis dit que je devrais essayer de travailler ça avec un peu plus d’inspiration japonisante. Donc j’ai une petite série de cartes. A l’époque j’étais dans la Cartographers Guild et les gars me demandent si je ne voulais pas faire un artbook de mes cartes parce qu’ils trouvaient ça super sympa. Du coup dans la foulée on avait une réunion avec Mathieu sur Nice et j’en profite pour lui montrer ma série de cartes. J’en avais presque une dizaine et je voulais en faire une douzaine-quinzaine et après en faire un petit fascicule artbook et y glisser un semblant d’univers. Et c’est là où je me suis souvenu d’un univers que j’avais créé en retour d’un voyage au Japon, parce qu’à l’époque on jouait beaucoup à l5r, et j’étais un peu frustré parce que je voulais y rentrer des composantes un peu plus japonaises plutôt que de jouer simplement un moine ou un samouraï. Donc j’ai fait jouer un semblant d’univers perso avec des règles simplifiées pour créer des persos sur le pouce. L’univers + les règles ça devait faire au total une quinzaine de pages avec un petit scenario et j’ai fait jouer ça a mon club avec ma femme et des potes, on a fait quelques parties et basta, c’est resté sur disque dur. Et pour en revenir au projet j’ai ensuite décidé d’inclure ces cartes dans cet univers là et je me suis dit qu’on pouvait y glisser un mini système de jeu pour ceux qui voudrait. Et en fait 2 semaines après cette réunion avec Mathieu, il m’appelle et me dit, Oliv’, on va en faire un vrai jeu de rôles ! A ce moment-là je me suis dit « ah ouais, mais je n’avais pas prévu de faire mon propre jeu de rôles. » Et donc j’ai raccroché et c’était l’angoisse. J’ai tout de suite commencé à écrire : j’ai pris la base, j’ai épuré, j’ai enlevé certaines choses pour ne garder que les éléments centraux qu’il y avait et ensuite c’est venu tout seul. Je me suis rendu compte que j’avais maturé en fait mon univers. C’est pour ça que je dis que c’est intime parce que c’est mon univers fantasy japonais nourri de plein de choses (Miyazaki, l5r…) donc voilà.
GO : A la base, tu es parti de la carte pour faire ton histoire, un peu comme Tolkien avec la terre du Milieu, ou de l’histoire pour faire la carte ?
OS : Alors la carte je l’ai faite inconsciemment avec des repères et des références. Elle s’inspire clairement du Japon en mode archipel étiré mais ça reste de la fantasy, l’ile au nord par exemple c’est un peu comme Hokkaido. Les peuples qui vivent là-bas sont tirés du folklore japonais, des mythes Aaïnous. Je pense que les cartes font parties intégrantes du projet. Y’a une partie du bouquin de base qui est une balade cartographique. Je suis parti de là pour donner plein de cadres de jeu. Pareil pour la capitale. J’ai fait la carte avec des idées de ce que je voulais. J’ai fait un croquis et j’ai construit l’écriture autour de la capitale et d’éléments de background autour de cette carte illustrée. La carte a été beaucoup nourrie et après y’a eu le texte avec beaucoup de travail de référence, de lectures autres qui sont venues enrichir l’univers.
GO : Pour la sortie de l’Empire des Cerisiers, vous avez organisé avec Arkhane Asylum une campagne de financement participatif (en 2020), d’où ma prochaine question, comment on vit une campagne de financement participatif, comment ça se passe ? le travail en amont, pendant… ?
OS : ah c’était ouf, parce qu’en fait à aucun moment on ne pensait que ça allait cartonner comme ça. Fabien et Mathieu, ce sont eux 2 qui ont géré le financement participatif, que ce soit au niveau de la communication et de la gestion du projet. Ils ont été au top. Ils avaient préparé des news avec des illustrations, et tout. Et de mon côté j’étais derrière en permanence à fournir du matos, à valider…
GO : Et en termes de jeu de rôle par rapport à la campagne, tu avais combien de % de boulot fait dessus avant la campagne ?
OS : Il y’avait un premier jet du livre de base qui était fait ainsi qu’une majorité du contenu. Et en arrivant à la campagne, on avait aussi déjà plein d’idées.
GO : Est-ce que tu savais déjà si tu voulais développer des suppléments, des trucs en plus ou c’est arrivé avec le succès de la campagne ?
OS : Alors oui effectivement le succès de la campagne, ça a aidé, et surtout ça a donné de la viabilité au projet. Mais en fait le livre de base a été construit pour être complètement autonome. Après j’avais déjà tout un ensemble de background en tête qu’on ne pouvait pas mettre dans le livre de base mais que je comptais développer par la suite. Donc déjà y’avait l’idée de trucs après. Après ça a évolué, mais globalement j’avais déjà l’idée du nombre de suppléments prévus. Et même si la forme a changé un peu, on s’y est tenu. Alors ils ne sont pas tous sortis dans l’ordre prévu, mais on s’est rendu compte qu’il y avait beaucoup d’attente sur certains points donc on a adapté l’écriture en conséquence. Y’a quand même une chronologie dans les suppléments car chacuns se suivent et tu apprends des choses dans un supplément qui seront développés par la suite. Donc y’a des choses qu’il fallait écrire dans l’ordre. Et par contre y’a un supplément dont j’avais des idées mais que je ne voulais pas forcément sortir comme un supplément en tant que tel, c’est le Yami Monogatari qui est sorti pendant le financement. Et en fait pendant le financement, on arrivait au bout et y’avait plus de paliers, tous avaient été débloqués. Et un soir Fabien craque et il m’envoie une couverture en noir avec le monde des morts. J’ai été bluffé par la couverture mais je n’avais pas prévu de le faire comme ça et finalement c’est parti du financement participatif pour qu’il sorte de manière exclusive, et avec un livre qui lui est dédié, c’est né de là-bas. En fin de compte c’était une bonne idée car ça permettait de donner des informations aux MJ vu qu’il parle aussi des grands antagonistes, pour que ceux qui masteurisent aient toutes les clés en main. Il y’a aussi des concepts typiquement japonais dans ce supplément donc ça me permettait aussi de mettre des nuances sur les personnages à l’intérieur de ce supplément, contrairement au livre de base un peu plus maniquéen. Et ça permet aussi de parler de pleins de thèmes, de discrimination mais de manière ludique, de la société japonaise avec toutes ses nuances, mais sans en occulter les points négatifs par exemple, prendre une culture dans son ensemble.
GO : C’est le projet sur lequel tu as pris le plus de plaisir à travailler du coup ?
OS : Oui complétement, mais c’est celui aussi qui m’a amené le plus de souffrance, de doute, de saturation. C’est un vrai projet des tripes. Pendant un long moment j’ai arrêté les contrats autour et j’ai pris 11 mois où je ne faisais que ça parce qu’il fallait boucler le projet et aller au bout. Y’avait 3 suppléments, le livre de base… Ensuite j’ai repris sur l’empire des cerisiers plus mon boulot de freelance, et maintenant ça fait un moment que j’ai décidé de me concentrer principalement sur mes projets et c’est mon boulot à plein temps maintenant !
GO : D’ailleurs si ce n’est pas tabou pour toi, on aimerait savoir comment ça se passe au niveau contrat de financement, illustrateur, est ce que tu es payé genre 50% commande ou 50% livraison ?
OS : Je bosse principalement en mode freelance donc c’est un contrat avec un forfait. J’estime mon temps de travail sur le projet, je fais un devis et je suis payé là-dessus. Une partie à la commande et une partie à la fin ça dépend avec qui je travaille et la confiance que je peux aussi avoir. Et pour L’Empire des Cerisiers c’est différent, y’a un contrat ainsi que des droits d’auteurs du coup comme je suis l’auteur du jeu en plus. Et surtout la licence m’appartient. Ça n’a pas été acheté par Arkhane Asylum. Tout m’appartient même si Mathieu et AA ont l’exclusivité pour l’aspect jeu de rôle. Après si je dois faire des choses même qui sortent du jeu de rôle ça sera avec Mathieu parce qu’on est dans une relation à la fois professionnelle mais aussi de confiance et il est devenu un ami cher aussi. Donc y’a l’aspect travail mais y’a aussi un affect. Je n’ai pas de limite d’illustrations non plus. Je n’ai aucune obligation légale à rendre à telle date le travail mais MS met tout en œuvre autour pour que je puisse travailler dans les meilleures conditions et pouvoir avancer sur le projet. D’ailleurs on ne bosse pas de la même manière, l’Empire des Cerisiers c’est mon bébé c’est mon projet, je le gère comme je veux. Une grosse boite comme Arkhane Asylum, Mathieu (Saintout), m’a dit « c’est ton bébé », donc j’ai une liberté totale de création, de traitement de thématique. Les seuls impératifs, c’est des impératifs techniques et encore. D’ailleurs le format du livre vient de Mathieu…
GO : C’est ce que j’allais demander ensuite, pourquoi avoir choisi ce format de livre qui change de ce qu’on a l’habitude d’avoir pour des livres de jeu de rôle ?
OS : Au départ pour un proto c’était pas du tout ça, c’était A4 tradi. Déjà je m’étais dit que ça serait un peu chiant les cartes avec la pliure au milieu et tout, mais bon je m’étais fait à l’idée. Et c’est Mathieu qui est venu un jour et m’a dit qu’il avait pensé à certains formats à l’italienne et formats japonais qui sont reliés sur le côté, du coup pourquoi on ne ferait pas cela ? Et donc j’étais vachement emballé et d’un autre côté je me suis dit mais comment on va faire, les magasins et tout ils vont nous maudire. Il m’a dit que ce n’étais pas grave et que ça obligerait du coup les magasins à présenter le livre différemment donc on était sûr de le voir. D’ailleurs ça revient de manière récurrente dans les interviews sur le pourquoi du comment de ce format. Ça change déjà et pour le coup les cartes qui sont pour la plupart en format paysage ça permet de les avoir sur une page et ça c’est assez cool.
GO : Beaucoup de recherches à coté, c’est quoi ta méthodologie ? Tu revois des histoires, des contes, des légendes ?
OS : Oui tout à fait, à l’heure actuelle j’ai eu tout une partie, parce que je sortais d’une formation d’histoire, où le reflexe c’était de prendre des thèses, des travaux de recherche, des références historiques… J’adore le folklore, les mythes et légendes, les histoires mais plus par le biais historique, l’aspect social, anthropologique, etc. Et donc j’ai ingurgité pas mal de recueils de contes traditionnels… Principalement ce n’est que du japonais traduit et tout. Dans les inspirations, j’ai lu des auteurs français comme Benjamin Lacombe qui a repris les contes de Lafcadio Hearn (que j’avais déjà abondamment lu avant ça) et qui a fait de supers artbooks (que je conseille énormément comme inspiration). J’ai aussi une base de biblio sur les contes. J’ai travaillé sur les précurseurs en ethnologie et anthropologie au Japon, des études du folklore et notamment je me suis beaucoup documenté sur les travaux de Kunio Yanagita qui est le père fondateur de l’ethnologie et de l’anthropologie japonaise, et qui a beaucoup travaillé notamment sur le folklore, les légendes, les mythes de certaines régions. Il a servi de références à des gens beaucoup plus connus comme Shigeru Mizuki (référence mondiale sur les Yokai) à travers la BD, les mangas (notamment NonNonBâ qui est un petit bijou). Et lui a repris des bouquins et autres récits de gens qui ont été découverts par Yanagita. Donc voilà j’ai travaillé sur plein d’autres références, tout ce qui est de l’estampe, et autres notamment Lafcadio Hearn qui est un folkloriste irlandais devenu japonais ensuite. Il a vécu là-bas et il s’est intéressé énormément aux histoires et contes japonais et il a écrit beaucoup de textes/récits. Il les analyse, les étudie, il y’a un gros travail de chercheur dessus. Donc je suis allé piocher dans pleins d’écrivains. Y’a peu de jeu de rôle dans l’univers fantasy japonaise (hormis L5r) mais j’ai voulu me différencier de cela, j’ai vraiment voulu me sortir de ces visions occidentalo-centrées. Je voulais faire de la fantasy japonaise. Alors y’a des biais occidentaux involontaires, mais je voulais que la matière soit des références japonaises. Même si y’a des références à des auteurs français, américains, etc. ce sont des auteurs qui ont travaillé sur le Japon. Et après pleins de références. J’ai essayé d’être le plus sincère possible. Des erreurs il y’en a j’en suis sûr mais la démarche se veut la plus sincère possible. Je ne voulais pas faire de l’appropriation culturelle, je voulais vraiment le faire comme un petit hommage de passionné aux Japons et à ses cultures différentes. Réussi ou pas mais en tout cas je vais au bout de ce que j’ai à dire.
Mine de rien le livre de base j’ai commencé à l’écrire en 2017. Si je l’écrivais maintenant y’a des choses que je changerais, d’autres que je garderais…. Niveau système y’aurai peut-être des petits changements mais pas trop, plus au niveau culturel. J’ai abordé des choses parce que je me suis beaucoup documenté dessus au fil de l’écriture. C’est pourquoi je dis aussi que les suppléments gagnent en maturité et sont hyper intéressants parce qu’ils viennent apporter une richesse en plus. Je suis fier et content. J’ai toujours des angoisses et appréhensions de comment ça va être reçu mais oui je suis fier.
GO : Est-ce que vous avez déjà des idées de rééditions pour plus tard avec des versions 2.0…
OS : Alors déjà là, le livre de base, écran du maitre + 2 suppléments sont en réimpression parce qu’ils sont en rupture de stock depuis quelques mois. Sachant que c’est un gros tirage (3500 ouvrages sold out, la majorité en magasin rien que pour le Livre de Base) avec une campagne avec + de 1100 backers ce qui était très gros à l’époque. Pour l’instant pas de réédition prévue dans l’immédiat. C’est mon 1er jeu de rôle et de la création originale française alors même si des gens me connaissait par le biais de mon travail d’illustrateur et de cartographe, comme auteur c’était de la pression et ça fait plaisir de se dire que son premier JDR est un succès.
Après je vois comment je travaille, je gagne en expérience donc je n’ai plus autant la pression. Je serais toujours angoissé de la réception de mon travail mais c’est personnel. Je suis toujours à me demander si j’ai tout bien fait, si je n’ai pas fait d’erreur de culture, de traitement de certains sujets…
GO : D’ailleurs, est ce que tu as eu des retours de personnes de culture japonaise sur ton travail ?
OS : Oui tout à fait. En majorité c’était positif mais avec des critiques et c’est assez drôle aussi parce que j’ai des inspis dans mes dessins avec les collines, des montagnes… et on m’a fait remarquer que ça faisait un peu chinois ^^ et du coup c’est personnel et c’est un clin d’œil aussi réellement à la peinture traditionnelle japonaise avec un pan de cette peinture qui reprend aussi la peinture chinoise.
GO : Sur le très long terme et c’est ce qu’on te souhaite, si l’empire des cerisiers continue de bien fonctionner, est ce que tu as prévu du cross-média, c’est-à-dire de porter le projet sur un autre support (film, romans, BD…) ?
OS : J’ai des gens qui m’ont contacté à titre perso parce qu’ils voulaient faire des romans sur l’univers mais c’est compliqué à gérer en termes de temporalité… Je tiens cependant à garder la main sur le sujet. Par exemple j’ai commencé à écrire un pitch de base pour deux futurs développements et je coordonne autour notamment avec Fabien Marteau le directeur édition. Mais je fais plus de la direction artistique, un peu d’écriture aussi hein, et bon va falloir tout illustrer et cartographier. Et notamment je traine mon ami Aldo pour le meilleur et pour le pire et avec lui on aimerait pouvoir sortir une box pour enfant complètement autonome. J’ai aussi un pote Radja (illustrateur aussi) qui va travailler dessus. Mais par exemple y’a 3 ans j’ai eu une stagiaire en école d’art supérieur et en fait c’était en plein COVID en télétravail. Du coup j’avais un scénar, qu’on devait mettre en ligne et qu’on doit publier en ligne pour bientôt d’ailleurs, et je lui ai dit que ce serait elle l’illustratrice, avec un travail de commande encadrée et tout, pour la mettre en condition de travail et donc c’est elle qui a illustré le scénar donc je suis très fier (Kerdui : https://kerdui.myportfolio.com/work).
Edit, le scénario est actuellement disponible ici : Petit Complots en Province
Et on a une idée avec un pote qui bosse dans les figurines et qui me tanne pour faire un jeu de plateau avec figurines dans l’empire des cerisiers donc ce sont des projets à l’étude, on verra. J’ai des idées plus de thèmes que de mécaniques pour l’instant.
Il y’aura également un projet d’artbook pour mettre en valeur l’envers du décor, mes recherches, mes inspirations …
GO : Est-ce qu’au niveau du monde universitaire tu es encore dedans, et est-ce que tu fais encore des recherches en laboratoires… ?
OS : Alors non je ne fais plus de recherche universitaire. Par contre j’ai beaucoup de contacts. Pas forcément avec mon labo d’histoire, mais c’est plus dans le domaine de la ludologie. Notamment mi-mai pour un colloque universitaire, j’interviens à l’université Paris-Créteil et Montpellier en visioconférence sur une table ronde. Je suis quand même toujours en contact avec des spécialistes pour mon travail de recherche sur mon jeu et dans le milieu du JDR on est pas mal à être issus du milieu universitaire et beaucoup y trainent toujours !
GO : Et du coup j’aurais un dernier point à aborder parce que je sais que c’est un de tes chevaux de batailles, c’est l’arrivée des IA. D’ailleurs, il y a une conférence ce samedi dessus (le 24 février), quel regard tu as de cette technologie ?
OS : Alors moi je parle des IA génératives, qu’on appelle IA mais qui ne sont pas des intelligences artificielles mais dont tout le monde emploie le terme. Dans le domaine de la création je trouve que c’est une aberration, que ça n’a pas de sens, à part réduire les coûts pour des gens et essayer de gratter du pognon sur le dos d’un métier qu’ils se fouttent de voir crever littéralement. Mais ça touche tout le monde, les illustrateurs, les auteurs… Moi personnellement je ne me sens pas menacé même si je ne travaille que sur des projets persos, et c’est un choix aussi de ne plus ou peu aller sur un travail de pure commande. Dans mon métier je suis installé. Mais là pour tous les illustrateurs et auteurs qui émergent et tout, on en parlait d’ailleurs avec un ami illustrateur Loïc Muzy, c’est chaud. En fait pour moi c’est une aberration dans le sens où on dit que c’est la démocratisation de la créativité alors que non, pour moi la démocratisation c’est que tout le monde puisse être en mesure de pouvoir avoir un crayon dans les mains et d’apprendre à créer et à dessiner. Tu ne fais pas de l’art quand tu fais des IA, tu ne fais rien en fait, en plus de l’aspect éthique qui est dégueulasse. C’est déjà incompréhensible que quand c’est sorti, les gouvernements et les institutions n’aient pas analysé ni légiféré dessus. C’est incroyable qu’on ait laissé ça comme ça, en mode « allez-y c’est bien c’est la technologie… ». Pour moi c’est le plus gros braquage au monde d’œuvres, au sens large du terme hein. On a braqué l’entièreté de l’œuvre humaine référencée, de tous les artistes, illustrateurs, graphistes, même ceux qui sont décédés. C’est complètement fou et on a laissé faire sans rien dire. Sans parler qu’en plus ça viole la propriété intellectuelle en récupérant sans autorisation, mais en plus ça ne peut que plagier. D’ailleurs maintenant c’est prouvé que les IA plagient. Donc l’aspect légal, éthique et moral, voilà quoi. Mais après en plus on arrive à une telle production, que même pour l’aspect écologique c’est désastreux. Pour 4 images qu’on te propose, ça a fait des calculs pour environ 100.000.000 d’images, donc en plus pour ceux qui se prétendent artiste, tu as des IA qui t’ont fait le calcul pour des centaines de millions d’images et qui t’en ont craché au hasard 4. Donc y’a rien, y’a pas de créa. Et le pire c’est que maintenant les IA sont en train de bouffer sur tous les moteurs de recherches (pinterest, google images…), et sont en train de s’autonourrir d’image IA, donc ça lisse complètement les styles ça reproduit mais en mode ultra accentué les stéréotypes. Malheureusement les IA font des avancées énormes ; enfin celles-là d’IA (génératives) parce que y’en a d’autres qui sont géniales (médecine…). C’est surtout l’usage qu’on en fait et la manière dont elles fonctionnent. Par exemple dans tes recherches tu tapais « femme » ou « homme » tu avais les mêmes nanas ou les mêmes mecs qui apparaissaient, tous fichus de la même manière avec 0 diversité, parlons pas des biais racistes…, ou par exemple ce n’était que des femmes blanches, mais si tu tapais genre femme bien en chair avec des formes tu n’avais que des femmes noires, le cliché beyoncé, ou la femme africaine c’est hallucinant et ça ne fait que renforcé ça. Et vu que ça s’auto-nourrit, ça va encore plus lisser les trucs. Mais il y’a quand même une prise de conscience aussi pour s’extraire de tout ça. Donc l’IA ne peut pas le faire et se conforter dans cette direction, si on ne la nourrit pas de trucs différents, et donc c’est un produit de pur consumérisme.
Et au-delà de ça, il y a la destruction de métiers qui sont essentiels pour moi et qui n’ont rien à faire dans les mains de IA. Là où il devrait y avoir une transmission d’émotions et tout par l’art.
D’ailleurs on a maintenant des aveux de boites d’IA, on sait comment ces IA fonctionnent et qu’elles pillent illégalement le travail des artistes. Y’a même plusieurs personnes en procès contre elles notamment GRR Martin. Les boites d’IA notamment Open AI qui demande au Sénat américain une loi spéciale pour les IA, de pouvoir contourner le copyright et les droits intellectuels pour leur machine, ce qui est un aveu clair de leur mode de fonctionnement illégal.
Et même l’IA a commencé à rentrer dans le milieu du jeu de rôle, y’a notamment eu un shitstorm sur une boite d’édition qui édite des petits auteurs, illustrateurs, et là y’a une campagne de financement participatif sur l’univers de Cthulhu (terminée depuis l’interview), et illustré par IA donc non ce n’est pas possible. Et en plus la communication a été hyper maladroite en disant que pour la campagne ils avaient pris des photos sur une banque d’image mais qu’ils ne savaient pas que c’était des IA et que pour le projet ce serait bien des illustrateurs qui feraient le job (du gros bullshit…), donc bon.
Y’a plusieurs jeux qui sont aussi sortis en financement participatif et qui ont tout ou partie des illustrations faites par une IA pour moi c’est direct non quoi. Après y’a des boites d’éditions, des streams, des médias dans le jeu de rôle qui ont pris le parti de dire non aux IA.
De mon côté j’ai pris le parti de contacter les festivals pour leur demander de prendre position sur ce sujet. C’est-à-dire que moi je suis désolé mais je n’ai pas envie d’être à coté de quelqu’un qui vend des IA alors que je suis avec des amis, des fans, des auteurs, des créateurs…. Donc j’ai dit que ça serait bien que les festivals se prononcent du fait en plus qu’ils ne vivent en grande partie que par la présence des auteurs et leurs productions (en plus, bien évidemment des bénévoles qui font un travail de dingues et qui sont le cœur même des festivals). Donc à un moment donné, il faut se positionner, si tu décides de ne pas prendre parti, tu acceptes que les IA soient là et du coup tu prends parti contre les artistes ! (Qui ne dis mot, consent !)
Y’a un énorme festival d’ailleurs au Royaume Uni du genre comic-con qui a publié et communiqué sur le fait qu’il ne voulait rien qui soit issu d’une IA sur le salon mais en plus que si vous faites des produits qui ne sont pas de votre imagination il vous faut les contrats et certificats d’exploitation d’images… donc c’est assez cool et ça commence à bouger mais voilà…
Y’a eu un côté positif à ce problème aussi, c’est que ça a changé ou confirmé mes goûts en termes de consommation. Et typiquement maintenant la charte graphique d’un jeu quel qu’il soit va être encore plus impactante pour moi en termes de choix. Même des jeux sur lesquels je ne serais pas allé avant.
GO : J’aime bien pour finir laisser le mot de la fin à la personne que l’on interviewe aussi je te laisse dire ce que tu as a dire, les dernières phrases sont pour toi :
OS : Un immense merci pour ce super moment avec vous quatre! C’est toujours un plaisir de pouvoir parler de notre milieu, de notre taf et notre passion! J’espère à très très vite!
Voilà, merci à toutes et tous d’avoir suivi cet article et surtout un grand merci à Olivier pour sa gentillesse et sa disponibilité, on vous souhaite une bonne fin de journée et à très bientôt pour de nouvelles aventures ludiques !
L’équipe Gameovert.net