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Un moment avec Vincent Dutrait

par Dupond

Fin janvier la Team Gameovert.net a eu la chance de pouvoir interviewer une figure majeure de l’illustration mondiale, Vincent Dutrait. Nous avons passé un excellent moment en sa compagnie pendant plus d’une heure et c’est la retranscription de cet entretien vidéo qu’on vous propose aujourd’hui (ce qui explique le ton un peu décalé de l’interview). Cette interview sera publiée en 2 parties car extremement riche en informations et partage. Je remercie au passage Mme DuponD de m’avoir aidé dans cette tâche de retranscription, aussi ardue que fascinante. J’espère que vous pourrez, par le biais de cet entretien, découvrir ou redécouvrir cet homme très talentueux et d’une très grande gentillesse. Un moment fort pour l’équipe ! On vous propose la première partie aujourd’hui !

 

 

Team Gameovert (TGO) : Bonjour Vincent Dutrait, déjà merci pour avoir accepté cet entretien avec nous, c’est vraiment un honneur pour nous de pouvoir vous interviewer. Il est 10h en France mais il est 18h en Corée où vous résidez. Vous êtes illustrateur de jeux de sociétés, BD, Jeu de rôle, livre pour enfants mais avez fait aussi des affiches et des couvertures. Vous avez presque une centaine de jeux de société à votre actif (cf BoardGameGeek) comme illustrateur principal, mais aussi comme illustrateur invité. Vous avez illustré une douzaine de livres jeunesse et avez été édité plus de 200 fois entre les magazines, albums, couvertures, romans… Cela fera 20 ans cette année que votre premier jeu illustré est sorti (China Moon, 2003). Vous êtes reconnu mondialement dans le monde de l’illustration, vous avez collaboré avec énormément d’auteurs et de boite d’éditions, vos derniers jeux sortis sont « Les tribus du vent », « Heat ». Il y a eu Oltrée, l’île au trésor, Naga Raja, Solénia, Lueur. Et bientôt, il y aura After Us (de Florian Sirieix chez Catch up games), Lumen (B. Cathala et Corentin Lebrat) et The ART project (Florian Sirieix et Benoit Turpin) chez Lumberjacks studio. J’ai lu aussi que vous avez été prof d’illustration à Lyon dans l’école Emile-Cohl, est-ce qu’on peut dire que vous êtes un touche-à-tout de l’illustration ?

Vincent Dutrait (VD) : Illustrateur quoi ! Après j’ai eu mes périodes, je n’ai jamais fait de BD mais j’ai eu des projets de BD. Je dois être le plus malchanceux des illustrateurs niveau BD car je n’ai jamais réussi à en finir une, il y a toujours eu un souci soit d’éditeur soit d’auteur qui partait en vrille, une espèce de malédiction de la BD, mes collègues disaient même que j’étais le premier illustrateur de non-BD alors que j’avais signé des contrats et tout… c’est comme ça. Mais j’ai commencé plus tôt, j’ai fait des études d’arts appliqués à l’Ecole Emile Cohl à Lyon d’où je suis sorti en 1997 et j’ai tout de suite commencé à travailler. En fait j’avais un bagage assez solide et du coup j’ai commencé plutôt par des livres jeunesse parce qu’à l’époque c’est là où il y avait le plus de boulot vu qu’il y a aussi tous les magazines jeunesses. Les éditeurs publiaient à tour de bras des romans et puis il y avait aussi les livres scolaires car tous les ans ou tous les 2 ans ils refaisaient les livres donc il leur fallait des illustrateurs. Et puis ça permet de faire des illustrations pas trop difficiles en terme de volume. Du coup, j’ai commencé avec ça. Mais j’avais beaucoup envie par la suite de travailler dans du fantastique, du jeu de rôle parce que j’y ai joué ado. C’est quelques années après que j’ai rencontré les personnes qui seraient les fondateurs d’Asmodée mais qui à l’époque faisaient du jeu de rôle mais pas encore de jeu de société. On s’était rencontré sur Cops (jeu de rôle), j’avais fait quelques images dessus et ensuite ils ont dit (Asmodée) qu’ils allaient davantage se mettre sur le jeu de société et c’est ainsi que j’ai glissé sur le jeu de société par la suite.

 

 

 

 

 

TGO : A la base tu es plutôt un gros joueur ou assez occasionnel ?

VD : Jeu de rôle au début, jeu de société ensuite et puis après on s’est pris une claque à mon époque avec l’arrivée des jeux vidéo donc j’ai tout lâché pour ça mais toujours dans ces thèmes (fantastique) comme Dungeon Master, Eye of the Beholder, Alone in the Dark, les jeux LucasArt, etc. et je suis venu sur Skyrim un peu plus tard. Je suis revenu sur le jeu de société après en y jouant de plus en plus.

 

TGO :  Tu parlais de tes débuts dans le monde du jeu de société, que s’est-il passé ensuite ?

VD : Ce qui s’est passé, c’est que de 2003 à 2008 je suis parti vivre en Corée du Sud une première fois. Et il s’est trouvé qu’en 2003 certains éditeurs jeunesse n’avaient pas de mail, c’était toujours des faxs… et ils me disaient « t’inquiète même si on est loin on continuera toujours à travailler avec toi » et puis en fait pas du tout. Du coup, à ce moment-là je n’avais plus assez de boulot et donc je me suis dit tient et si je me remettais au jeu de rôle. J’ai donc contacté Wizards of the Coast (Donjons et Dragons°, Magic°…) et Paizo Publishing (Pathfinder°) mais en mode yolo, je me suis dit « on envoie un mail et on verra ».  Ils m’ont dit « eh bien impeccable » car d’un côté ils se lançaient (WOTC) dans la 4ème édition de D&D et de l’autre dans ce qui allait devenir Pathfinder (qui était en train d’être monté). Avec mon style un peu vieux-neuf (technique traditionnelle mais avec une vision moderne), ils étaient tout content, c’est ce qu’ils cherchaient parce qu’à l’époque il y’avait une vague de numérique qui arrivait. Et j’ai quasiment fait que ça pendant 5 ans. Pour Paizo, j’ai fait toute la gamme gamemastery item cards où j’avais fait environ 600 cartes armes et objets et c’est moi qui ai dit stop parce que je n’avais plus d’idées !! Et puis pour D&D j’avais participé à pas mal de truc et en plus c’était plutôt bien payé donc ça permettait de vivre comme il faut. Donc après, en 2008, je suis revenu en France où là j’ai été contacté par Gameworks (Tikal II, Jaipur, Jamaica…) et du coup on est devenu amis et ça m’a fait rentrer à nouveau dans le jeu de société et depuis je ne fais que ça, c’est 100% de mon activité. Et puis en plus maintenant avec internet on peut travailler à distance sans les soucis que ça occasionnait avant.

 

TGO : Ça ne te manque pas de retravailler sur du JDR ou des gros projets qui pourraient durer sur pas mal d’années ?

VD : Là j’en ai fait un pour Bitume° de Croc (jeu de rôle post apo) où j’ai fait des couvertures, des personnages et ça m’a fait du bien de reprendre. Ça me manque un peu mais pas pour les mêmes raisons. Dans le jeu de société, autant j’arrive à prendre toutes libertés que je veux sur les projets, je crée vraiment ce que j’ai envie de faire et si un projet ne m’intéresse pas je ne le fais pas ; autant techniquement il y a une petite frustration car des fois il y a des images qui peuvent être en kit ou à des formats qui sont petits ou même agrandis, mais ça reste petit. Il n’y a pas de grandes images hormis certaines couvertures. Alors que dans le jdr tu peux faire des illustrations beaucoup plus grandes, des écrans de MJ, des couvertures plus importantes, une double page, des personnages plus costaud sans que ces derniers doivent tenir sur une carte ou doivent être coupés pour rentrer sur tel plateau… C’est un des seuls bémols que je trouve à l’illustration de jeu de société c’est parfois la contrainte du cadre, du support. Alors que quand je faisais des illustrations de livres pour enfant où j’illustrais par exemple Niels Holgersson , je faisais 25 grandes illustrations sur l’histoire et je suis un peu plus libre, alors c’est tout le temps le même format mais il y avait quand même un peu plus de libertés pour ça.

Donc c’est pour ça aussi que pour les jeux que j’illustre je mets le paquet sur la couverture, car c’est l’image qui va représenter le jeu (promotionnel, présentation de l’univers…), l’impact, le premier contact visuel qu’il y aura entre le joueur et le jeu. C’est l’élément que je travaillerai le plus dans un projet.

 

TGO : On voit d’ailleurs avec Yue et DuponT que quand tu prends une boite de jeu, on sent vraiment une « patte » Vincent Dutrait, quand tu prends un jeu on sait que c’est toi qui l’as illustré, que c’est ta marque de fabrique vraiment ce côté couleur orange-bleu-vert, très saturé. T’as vraiment cette patte-là reconnaissable. Est-ce que tu faisais ça depuis le début ou c’est quelque chose que tu as développé et que tu t’es dit c’est ça qui me correspond, ce mélange de couleur… ?

Et deuxième question, l’année dernière on avait pu voir Bruno Cathala qui nous a parlé de son travail d’auteur, et on lui demandait, avec sa renommée et son poids, si son nom faisait vendre et que parce que c’était Bruno Cathala on venait le chercher et il nous disait que son nom ne lui servait qu’à avoir des rendez-vous, c’est-à-dire que si son jeu, son idée n’est pas bonne, il ne sera pas édité. Du coup est ce que toi c’est le même principe, est ce que ton nom te sert à avoir des rendez-vous ou est-ce que c’est plus que cela dans le monde de l’illustration car il y a peut-être moins de monde dans ce domaine-là que d’auteurs de jeu et que du coup ça te permet d’avoir des contrats plus facilement ?

VD : Alors pour ta première question, sans faire de gloriole ou de trompette, j’essaie de construire un grand truc, je construis mon univers et finalement je m’approprie des projets (ce qu’on me propose c’est des commandes surtout avec un cahier des charges…) mais je m’approprie le truc pour que ça rentre dans mon univers.

Et pour la deuxième oui, complètement, ça m’aide beaucoup, ça je ne le cacherai pas. Et puis il y en a qui me le dise, qu’ils m’ont contacté parce qu’ils veulent mon nom sur la boite. Surtout aux Etats-Unis en ce moment il y a une hype que j’essaie d’analyser, de comprendre. Les américains sont très sensibles aux illustrations traditionnelles parce qu’on est en train de traverser des périodes de crises, et généralement dans ces périodes on va plus se reposer sur des choses qu’on connait déjà, qui nous rassurent… donc je pense que mon univers ça rassure, ça donne une pate old school qui fait que les gens se sentent à l’aise là-dedans car ce sont des codes qu’ils connaissent déjà.  Et puis c’est une version modernisée, c’est pas l’illustration non plus des livres que je lisais quand j’étais gamin. C’était Phillipe des Pallières (la guerre des moutons, les loups garous de thiercelieux) qui avait dit ça : Vincent il fait du Vieux-neuf et moi ça me plaisait beaucoup parce que je revendique ce côté traditionnel de l’illustration, documentée, détaillée mais remis au gout du jour avec des couleurs de maintenant et des sujets qui changent, je ne fais pas que du fantastique, que de l’historique… Et ça m’aide et me porte. Mais pour en revenir à la question je n’en profite pas et au contraire ça me met plus la pression parce que je construis un univers et je n’ai pas envie de le foutre en l’air. Du coup, je ne me repose pas dessus même si j’ai des fois des petits trucs. Par exemple, j’ai un joueur chinois qui m’a envoyé une photo où il a un rayon de jeu de société Dutrait, du coup c’est sympa et ça me motive à toujours faire mieux et ça me met une pression qui est saine. Je me dis qu’il y a des gens qui apprécient mes illustrations et mon travail donc je me dis allez, faut les nourrir, faut qu’ils soient heureux et puis faut les surprendre aussi. Et c’est vrai que des fois quand des projets se passent mal cela me pose problème par ce que j’ai mon nom collé dessus. Alors ça arrive, c’est la vie mais c’est vrai que c’est dérangeant. Donc j’essaie au maximum d’anticiper les choses, de préparer au mieux pour éviter ce genre de soucis même si ça arrive parfois.

 

TGO : Du coup pour un jeu de société comment ça se passe ? C’est toi qui démarche les éditeurs avec une idée, c’est les éditeurs qui viennent te voir ? Y a des auteurs qui viennent en disant moi je veux que ce soit Vincent Dutrait qui fasse mon illustration ? Comment ça fonctionne sur un projet ?

VD : Il y a eu un moment où quand je suis revenu dans le jeu de société c’était moi qui ai pris les devants. J’ai contacté des gens en disant « je suis de retour là-dedans ». Mais sinon maintenant ça arrive assez souvent avec les auteurs parce que j’en connais pas mal et puis de fil en aiguille ça se discute comme ça ; c’est plutôt les éditeurs qui me contactent la plupart du temps en disant on a tel ou tel projet. Donc, déjà je regarde si le projet m’intéresse, si le thème m’intéresse, si les gens avec qui je vais travailler m’intéressent… et puis maintenant je réfléchis j’élargis un peu plus l’équation ; étant donné que j’ai le luxe d’avoir du choix ; à l’envergure du projet, la visibilité, où il y aurait déjà une distribution installée à l’international pour qu’il y ait plus d’impact, pour que l’ensemble fonctionne bien. C’est pour ça que des fois ça me fait rire car même quand je suis un peu en retrait et tout (je ne m’exprime pas trop sur les réseaux sociaux mais je regarde ce qu’il se passe) et quand je lis qu’on voit Dutrait partout, que je produis, que je fais beaucoup de choses, au milieu de 2500 jeux par an j’en fais même pas 10.

TGO : Il suffit qu’a un moment, il y a un truc, typiquement pour préparer cette interview je regardais, tu sors d’une période assez « folle ». En jeux sortis récemment, tu as Oltrée, Naga Raja, Solenia, L’île au Trésor, Heat

VD : Justement c’est les éditeurs qui vont porter ce projet pour lui donner du succès, quand tu vas à Essen, il y a des panneaux de Xm de long/large, tu vas chez un autre éditeur boom ils en ont remis une couche… donc à un moment ça se remarque. Donc j’y suis pour rien mais je suis pas mécontent de cela ^^.

 

 

 

 

 

TGO : D’ailleurs quand tu acceptes un projet, est-ce que c’est parce que tu as envie de jouer au jeu, que le projet te plait ou les 2 ?

VD : Alors c’est plutôt le thème qui va me porter et puis je me dis « qu’est-ce que je peux apporter à cela, quelle approche ? Et puis même un peu plus loin je me dis qu’est-ce que je peux faire que les autres n’ont jamais fait. Quand on parlait de Heat avec Days of Wonder, il y a déjà des jeux de courses… Moi ce qui m’a bien plus c’est qu’il n’y avait encore rien sur cette époque, les années 60-70, et du coup en ce moment sur mon travail je suis plus en recherche sur des choses retro-vintage, il se trouve que ça tombait pile poil comme il faut.

 

TGO : Et puis aussi ça se marie bien avec ton style de couleur j’ai l’impression.

VD : Exactement. Mais par exemple si on me propose ou on m’a proposé des jeux qui sont plus sur la veine de Muséum ou des choses historiques assez documentées là je rechigne un peu plus parce que j’ai l’impression de l’avoir déjà fait, par exemple sur Muséum j’ai fait 180 illustrations, j’ai besoin d’un peu temps pour me donner envie de me replonger dans tel univers ou alors il faudrait une approche complètement différente.

 

TGO : Et tu choisis des projets à contre-courant aussi ? C’est-à-dire différent de ce à quoi tu as l’habitude de faire, comme sur Lueur où il me semble tu as fait les illustrations. Pour un jeu en noir et blanc. Était-ce une volonté de ta part de faire quelque chose complètement à l’opposé de ton style habituel ?

VD : Alors sur Lueur j’ai fait la couverture et les plateaux. Mais oui oui, complètement, je cherche toujours à faire des choses un peu différentes et c’est l’éditeur qui me l’a proposé. Il se trouve que j’avais travaillé avec Bombyx sur un Cardline Corée et un Cardline globetrotteur-géographie… et ils se rappelaient de mes crayonnés noir et blanc et ils se sont dit « est ce que Vincent ça lui plairait de travailler sur un projet en noir et blanc ? ». Je leur ai dit impeccable, c’est la récré pour moi, en plus un univers un peu fantastique, un peu étonnant comme ça. Il y avait aussi le challenge qu’il faut que ça match avec le style de l’autre illustrateur (Ben Basso) qui était là avant et qui a créé l’univers donc ça me plaisait bien.

 

TGO : Maintenant tu es illustrateur principal. On a vu qu’il t’arrive de travailler avec d’autres illustrateurs, est ce que dans la plupart des cas c’est toi qui vas les chercher parce qu’il y a telle ou telle demande ? Ou est-ce que tu vas chercher des illustrateurs sur certains points d’un projet ? Ou tu es plutôt 100% dans le projet ?

VD : Alors je ne suis pas très partageur (rire). Déjà j’aime bien tout faire parce que ça permet de garder une bonne cohérence sur l’ensemble. Après les projets où j’ai pu travailler avec d’autres personnes c’était très chouette parce qu’il y avait une grosse émulation qui s’est créée mais c’est plus complexe. On est tous très différents, on a tous des manières de travailler différentes et puis il faut que du côté de l’éditeur ça suive parce que quand il y a plusieurs illustrateurs à gérer c’est chaud. J’aime bien mais je ne cours pas après, si ça se présente pourquoi pas. Par exemple, on m’a proposé un nouveau projet où il y a un plateau qui est complexe et là je connaissais un illustrateur à qui j’ai demandé de me rejoindre sur le projet parce que je pense qu’à tous les 2 on fera des étincelles et que ça sera chouette. Et comme ça moi ça me permet de soulager aussi de cette charge de travail pour me concentrer plus sur d’autres pans du jeu où là je peux vraiment cartonner mais je préfère être aider sur une autre partie.

 

TGO : Et tu travailles toujours sur plusieurs projets en même temps où tu fais un projet puis un autre puis un autre ?

VD : Alors travailler sur plusieurs projets je suis obligé à cause du système éditorial (on négocie les contrats, la durée et tout le truc mais je demande toujours à avoir 50% à la signature du contrat et 50% à la remise des illustrations définitives). Après on connait les aléas de l’édition ce qui fait qu’un projet qui devait prendre 3 mois en prend 6, un autre va être en standby des fois. Il m’est arrivé d’avoir des projets qui se sont raccourcis car il y a eu des fenêtres de publication donc c’est très compliqué. Et comme il se trouve qu’à la maison je suis la seule rentrée d’argent, il faut que je fasse plusieurs projets en parallèle mais les éditeurs sont au courant, je les préviens, il n’y a pas de trucs cachés. Finalement j’en viens toujours à travailler en priorité sur le projet qui avance le mieux, les autres passeront après, de fait. Il y a des moments, l’éditeur le sait, je vais dire ” ben je vais peut-être me concentrer d’abord sur la recherche de docs/réf et la préparation” et ensuite je vais tomber toutes les illustrations d’une traite en 1 mois. Alors il y a des éditeurs qui ont un peu du mal avec ça, mais moi je travaille pas du tout de manière numérique, je travaille toujours de manière traditionnelle avec pinceaux, sur papier… C’est-à-dire que je préfère faire des séquences (les cartes dans le jeu je préfèrerais toutes les faire d’un coup comme ça je garde mes couleurs…). Du coup il y a des éditeurs inquiets car ils se disent la date arrive, on a calé les crayonnés… mais on a pas vu une seule couleur et tout d’un coup blam ça tombe tout. Après je suis hyper transparent sur ça et je communique beaucoup avec les éditeurs, dès qu’il y a un problème et puis dès que je sens qu’il y a un truc qui déconne je préfère le dire même si des fois ça clash, au moins les choses sont claires et on avance.

 

TGO : En parlant de contrat, comment ça se passe au niveau du jeu de société, comment se négocie un contrat (pourcentage, nombre de vente…) ?

VD : Alors déjà internationalement, les éditeurs ont tendance à payer un forfait c’est-à-dire tu fais un devis, il y a ça à faire, ça va couter tant… et puis tu es payé et c’est fini. Maintenant ce qui se développe de plus en plus parce que la part de l’illustration sur le succès du jeu est plus importante maintenant (c’est devenu un critère d’achat) et puis si tu as un nom ou pas, c’est d’avoir des droits d’auteurs qui sont de l’ordre de 1-2 ou 3% en plus d’être payé d’abord pour tout le travail. Alors ça se négocie, il y a plein de formules mais par exemple au bout de tant de ventes tu touches 1-2-3%, puis peut être différemment si le jeu est porté au niveau numérique… Moi maintenant j’arrive à convaincre des éditeurs américains ou étrangers qui d’habitude ne fonctionnent pas comme ça. C’est une vision assez française les droits d’auteurs mais les éditeurs comprennent de plus en plus, notamment les américains, ils sont assez cash là-dessus. Après c’est pas des sommes délirantes mais en fonction des prix remportés par le jeu ça peut être aussi plus important. Mais c’est des discussions qu’on a aussi entre illustrateurs. Je pense d’ailleurs qu’il ne faut pas parler de droit d’auteurs mais plus de clause au succès. Parce que ces illustrations j’en suis l’auteur mais ça n’aurait pas existé si ce n’était pas une commande à la base, donc c’est quelque chose de participatif, c’est pour ça que le terme de droit d’auteur me gêne un peu. Après il peut y avoir des projets où je suis à la base avec l’auteur donc là je peux être un peu plus « auteur » que seulement faire les illustrations donc c’est délicat.

 

TGO : Et du coup ça arrive qu’il y ait des auteurs qui viennent te voir en disant j’ai une super idée de jeu et je pense que ça irait complètement avec ton style et qu’après vous alliez démarcher les éditeurs, est ce que ça marche aussi dans ce sens-là ?

VD : Oui ça arrive, beaucoup avec Bruno (Cathala) d’ailleurs (rire), on est proche et les jeux qu’on a illustrés ensemble c’est souvent parti comme ça d’ailleurs.

 

TGO : Et inversement si toi tu voudrais travailler sur un thème en particulier, par exemple le Far West, est ce que tu vas voir un auteur en lui demandant s’il a une idée de jeu… ?

VD : Oui ça se discute aussi, ça marche aussi dans ce sens-là. Après c’est la chance de se connaitre et puis que les éditeurs nous suivent après. Après il y a des sujets qui peuvent être assez sensibles. Par exemple, moi quand je fais un jeu c’est pas le jeu de ma vie donc quand le projet ne va pas au bout ce n’est pas « catastrophique », le seul souci c’est que le temps que j’aurais pu mettre dans un autre projet est perdu et donc j’ai perdu 2x plus de temps. Mais si un jeu ne marche pas comme il aurait dû, bon je suis embêté pour l’auteur et l’éditeur. Après il y a des projets auxquels je tiens plus mais voilà quoi, il faut que j’avance aussi.

 

Fin de la première partie de l’interview, pour la seconde partie, on abordera sa technique, son style, sa vision du métier et de l’illustration et on parlera aussi de l’Ecole Emile Cohl.

J’espère que vous avez apprécié cette première partie et on vous dit à très vite pour la suite et fin de ce entretien au combien intéressant.

 

La Team Gameovert.net

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